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Redécouverte du titiro 'étù

Les techniques de la grande navigation polynésienne n'ont pas résisté, comme beaucoup d'autres aspects de cette civilisation, au contact avec les européens.
Ce n'est qu'à partir de la deuxième moitié du XXe siècle qu'elles ont été redécouvertes et même, souvent, re-créées.
Ce document n'a d'autre ambition que de faire connaître, à propos d'un instrument lui-même discuté, des éléments du patrimoine culturel et scientifique de l'activité maritime, découverts au cours de nos recherches sur les instruments de navigation.
Ce document ne revendique aucun statut scientifique. Tous éclaircissements, toutes informations et précisions sont les bienvenus.

1927.

Il semble que la première description d’un instrument comparable au titiro ‘étú a été faite en 1927 dans un article intitulé the sacred calabash publié dans les United States Naval Institute Proceedings par l’amiral américain Rodman1.

Au début des années 1900 l’amiral Hugh Rodman en mission à Hawaï pour vérifier les cartes et revoir les routes de navigation dans la zone polynésienne est intrigué par le nom donné à un détroit de l’archipel : Ke-ala-i-Kahiki (The Road to Tahiti ; route vers Tahiti).

Il apprend par un insulaire lettré que la tradition conserve le souvenir de relations maritimes régulières entre Hawaïens et Tahitiens. Ces voyages de plus de 2000 milles marins étaient rendus possibles par l’utilisation de grandes pirogues à voile à double coques et par l’expérience du ciel et de la météo du Pacifique dans les deux hémisphères qu’avaient les marins polynésiens.

Rodman découvre l’existence d’un instrument traditionnel fabriqué à partir d’une calebasse et utilisé un peu comme un sextant pour mesurer la hauteur de l’étoile polaire au-dessus de l’horizon et ainsi connaître la latitude. Cet instrument était désigné comme calebasse sacrée. Ayant obtenu l’autorisation d’examiner un tel instrument Rodman le décrit comme une sorte de gourde de trois pieds de long, dont la base est sphérique et dont le corps cylindrique se referme en forme de cône vers le haut. Près de l'ouverture supérieure, quatre trous ont été percés à l'extrémité de deux diamètres rectangulaires d'un cercle dont le plan serait perpendiculaire à l'axe de la calebasse.

Rodman vérifie qu’il est établi pour une hauteur d’étoile de 19°, valeur qui correspond à la hauteur de l’étoile Polaire à Hawaï et donc à la latitude d’Hawaï.

1972.

L’article de l’amiral Rodman provoque dès sa parution de nombreuses remarques. Un article publié dans le Journal de la Société des océanistes en 1972 en fait la liste.

On a parlé d'un instrument rudimentaire, constitué par une "calebasse sacrée" percée de trous, qui aurait permis d'apprécier la hauteur de l'étoile polaire, et donc de retrouver la latitude correspondant à un angle déterminé (19° pour Hawaii). Cette nouvelle, dont s'étaient fait l'écho Jourdain (1933) et Hornell (1936), n'a toutefois pas été confirmée. Déjà, en 1928, Stokes émettait des doutes quant à l'emploi effectif de cet "instrument" ; Eric de Bisschop (1963) est allé jusqu'à dire qu'il s'agissait d'une véritable supercherie, de la part de Rodman...

1933.

En décembre 1933 dans l’article qu’il publie dans la Revue de la Société des Études océaniennes Pierre Jourdain évoque un article de la Revue nautique de 1931 contenant un témoignage semblant valider l’utilisation d’un tel instrument.
Il insère un dessin de la calebasse sacrée et propose un mode d'utilisation.

Dessin de la calebasse

On le remplit d'eau. Le plan d'eau limité par les quatre trous donne un niveau horizontal. On vise l'Étoile Polaire par un des trous et la partie supérieure dont on rogne le dessus de façon que la Polaire tangente le bord de cette cuvette. Cette opération étant faite à Hawaï, on se retrouve à la même latitude quand on voit la Polaire tangenter le haut de la calebasse.

1986.

Dans le Bulletin de la Société des Études océaniennes de juin 1986 Edward Dodd2 publie un article qui, s'appuyant sur les recherches sur le ciel de Polynésie menées par Anthony Aveni3 spécialiste américain de l'archéo-astronomie, fait avancer la compréhension des techniques de navigation dans le monde polynésien.

Selon cet article l'astronomie des peuples de l’Océanie se basait sur l’horizon et le zénith parce que, aux latitudes équatoriales, ce système a des avantages évidents lorsqu’il s’agit d’intégrer les mouvements des cieux...Il suffit au marin de mémoriser une constellation, c’est-à-dire une longue suite d’étoiles, qu’il associe à l’île où il veut se rendre, puis se dirige vers elle.
L'article n'évoque pas le titiro ‘étú mais il met en évidence les deux éléments que l'instrument met en relation : l'horizon et le zénith.

2017.

Deux amis de Méridienne découvrent lors d'un séjour de travail en Nouvelle-Zélande le musée TePapa de Wellington. Une section du musée consacrée à la navigation polynésienne retient plus particulièrement leur attention.

Il est question du titiro ‘étú.

Dessin

Parmi les références permettant l'interprétation de l'instrument figure un texte de Tom Davis4, originaire des Îles Cook.



Le texte du Tepapa Museum

Les premiers navigateurs des îles Cook et de Tahiti utilisaient parfois le titiro ‘étú.

Chaque titiro ‘étú était conçu pour une île connue associée à une étoile particulière.

L'instrument permettait aux navigateurs de déterminer quand ils étaient sur la latitude de l'île de destination.

Le titiro ‘étú était fait d'une courge ou d'une noix de coco, percée à sa base d'un anneau de trous.

Un de ces trous constituait l'oculaire par lequel se faisait l'observation.

De l'autre côté de la noix un trou percé plus haut était l'objectif, le trou d'étoile par lequel dans une position précise on pouvait voir l'étoile choisie à son zénith (le point le plus haut dans le ciel).

Le navigateur remplissait la noix de coco d'eau de mer jusqu’à l'anneau des trous et la couvrait d'une fine couche d'huile de noix pour former un horizon artificiel.

Quand il pouvait voir l'étoile à travers le trou d'étoile, il savait qu'il était parvenu sur la latitude de l'île de destination.

Informations du TePapa Museum sur le star peeker, fournies par Tom Davis (1917-2007), îles Cook.


1992.

Tom Davis publie Island boy, an autobiography. Il y explique comment l’instrument était utilisé.

Le titiro ‘étú fonctionnait comme une méthode de navigation en latitude par les étoiles, ce qui est la même chose qu'une méthode de navigation en latitude par le Soleil, mais sans nécessiter de table de déclinaison car les déclinaisons d'étoiles sont fixes...
...Une hauteur connue de l'étoile obtenue par le titiro ‘étú indique que la pirogue est sur la même route Est-Ouest que sa destination... ...Si, en regardant par l'oculaire, l'étoile est dans l'objectif et l'eau de l'horizon artificiel alignée avec tous les trous de l'anneau, on est sur un point où la latitude de l'île de destination est atteinte. La pirogue peut être dirigée directement vers l'Est (ou l'Ouest)...

Thomas Davis a consacré beaucoup de son temps à la recréation du titiro ‘étú et à la redécouverte de l’utilisation correcte de l'instrument.
Sur la mer un marin voyage dans la sphère céleste... Il dispose de nombreux indices quant à la direction qu’il doit suivre et au maintien de cette direction. La boussole a rendu aveugle la plupart d’entre nous à l’existence et à l’utilisation de ces indices.
En navigant selon la méthode des hauteurs d’étoiles on n’avait pas besoin de chronomètre ni de tables de déclinaison. On avait juste à vérifier avec le titiro ‘étú que la hauteur de l’étoile mettait la pirogue sur la bonne ligne Est-Ouest et à conserver la pirogue sur cette route pour atteindre sa destination
.

Textes de Tom Davis (traduction Méridienne).
irithewitch.blogspot.fr /2012/10/this-book-was-one-of-my-main-resources.html




1 Rodman Hugh (1859-1940). Amiral américain. En poste à Hawaï de 1901 à 1904.

2 Dodd Edward (1905-2008). Éditeur. Auteur de nombreux livres et articles sur la culture polynésienne.

3 Aveni Anthony (1938). Universitaire américain spécialisé dans l'archéoastronomie.

4 Davis Thomas également nommé Pa Tu Te rangi Ariki (1917-2007). Médecin, homme politique (Premier ministre des Îles Cook de 1978 à 1987), navigateur.
À partir des années 90 il s'intéresse à la construction de pirogues traditionnelles avec lesquelles il parcourt le Pacifique.